Entretien avec Tony Blair


par Brigitte Ades - Vendredi 11 Décembre 1998

Brigitte Adès - Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous que, depuis votre arrivée au pouvoir en mai dernier, vous soyez, à l'étranger, apprécié tant par les socialistes que par les conservateurs? Le clivage droite/gauche serait-il devenu obsolète?
Tony Blair - Il est grand temps, en effet, de rénover la politique. Le XXe siècle a tourné autour d'une grande bataille idéologique entre « capitalisme » et « socialisme ». Cette lutte n'est plus pertinente. Et l'époque où les gouvernements arrivaient au pouvoir avec des programmes qui ne tenaient pas compte des réalités est révolue. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l'idéalisme soit mort...
J'ai toujours expliqué que notre gouvernement serait plus radical qu'on ne le pense, mais d'une manière différente. Ce que je voulais dire, c'est que nous avons une idée extrêmement claire de nos buts. Je sais ce que je veux réaliser et ce sur quoi sera jugé le gouvernement à l'issue de son mandat de cinq ans. D'emblée, nous avons indiqué que notre gestion économique privilégierait la stabilité et la rigueur. Pour cela, les changements relatifs à la Banque d'Angleterre (1) étaient absolument indispensables à long terme. De même, nous avons réduit le déficit budgétaire. J’ajoute que les partis du centre et du centre-gauche doivent faire preuve de la plus grande prudence fiscale. C'est pourquoi nous réduisons les impôts qui pèsent sur les sociétés - excellente chose pour les petites entreprises! -, et avons d'ores et déjà pris les premières mesures de réforme du système social. Toute notre action consiste à ramener les chômeurs dans le monde du travail et s'inscrit dans un cadre visant à responsabiliser nos compatriotes.
Notre système de protection sociale n'a pas évolué depuis 50 ans. Or les temps ont changé depuis que William Beveridge a mis sur pied l'État-providence, et nous devons l'adapter aux besoins d'aujourd'hui. Il n'y a plus d'emplois garantis, les femmes sont bien plus nombreuses à travailler, et une sorte de quart-monde a émergé qui dépend, à vie, des prestations sociales. C'est à notre gouvernement qu'il incombe de changer le système afin qu'il aborde les problèmes au lieu de contribuer à les créer. Soyons clairs : les personnes qui sont réellement dans le besoin seront aidées. Les propos qui évoquent une suppression des allocations au détriment des plus vulnérables sont alarmistes. En revanche, nous réformerons le dispositif selon les principes suivants : les nécessiteux continueront à être correctement protégés ; le travail est la meilleure forme de protection sociale; les individus ont des responsabilités, tout comme le gouvernement; enfin, il faut être impitoyable envers les abus.

B. A. - Quelles sont vos autres priorités?
T. B. - Nous avions annoncé que l'éducation serait notre souci primordial et avons agi en ce sens, mêlant réformes et accroissement des investissements. Nous avons organisé avec succès des référendums de décentralisation et avons tourné le dos au big government. Quant au traité d'Amsterdam, il a évidemment constitué un très grand événement. Nous avons négocié pied à pied pour garantir les intérêts nationaux de la Grande-Bretagne, mais en considérant que l'un de nos intérêts nationaux résidait, précisément, dans notre capacité à jouer un rôle clé et constructif en Europe.
Vous le voyez, notre principal atout, c'est que nous savons où nous allons. Ce qui ne veut pas dire que nous ne commettrons pas d'erreurs ou que nous n'aurons pas à nous adapter aux événements.

B. A. - Mais finalement, en quoi le socialisme moderne de la gauche travailliste diffère-t-il du capitalisme social propre à la droite française?
T. B. - Ma réponse, c'est qu'il est temps de conduire une politique qui, sans renoncer à tout idéal, transcende les idéologies. Peut-être est-ce utopique. Il n'en reste pas moins que c'est une façon de reconnaître la similitude des problèmes auxquels sont confrontés tous les pays développés aujourd'hui. Comment être compétitif dans une économie de plus en plus internationalisée? Comment assurer notre sécurité dans un monde marqué par une profonde insécurité économique et sociale? De nouveaux problèmes comme le crime, l'environnement, la place des femmes, n'appellent-ils pas un autre type de politique?

B. A. - La dimension de son secteur public peut-elle constituer un obstacle au bien-être et au progrès économique d'un pays?
T. B. - Dans la première moitié de ce siècle, on a privilégié l'accroissement du secteur public et développé l'action gouvernementale dans tous les domaines. Puis la droite est arrivée au pouvoir en expliquant qu'il fallait mettre fin aux excès de la bureaucratie.
Je suis convaincu, pour ma part, qu'il existe une troisième voie. L'État ne peut-il pas conserver un rôle majeur, mais d'un type différent? N'est-il pas préférable qu'il exerce une fonction d'organisation et de soutien plutôt que de tout financer et de s'occuper de tout? C'est dans cette optique que notre programme Welfare to work (2) cherche à impliquer le secteur privé aussi bien que le secteur public.
Examinons la question de la réforme des retraites. Il est clair que les actifs vont devoir prendre en charge leur propre indépendance financière. Mais rien n'interdit à l'État d'organiser le nouveau système. La puissance publique, à mon sens, doit s'occuper, en liaison avec le monde des affaires et de l'industrie, d'éducation, de formation, de technologie et d'infrastructures. Elle n'a pas, en revanche, à garantir la sécurité de l'emploi à nos concitoyens ni à accabler les employeurs de charges et de réglementations.

B. A. - Le taux de pauvreté en Grande-Bretagne dépasse les 20 %, ce qui constitue le pire score en Europe, Grèce et Portugal exceptés. Avez-vous l'intention d'inverser la tendance et comment?
T. B. - Tous les pays développés sont confrontés à l’exclusion, nous ne sommes pas les seuls! Et, naturellement, l'une de nos priorités est de nous attaquer à ce problème : nous avons mis en place un service chargé spécifiquement de lutter contre l'exclusion sociale, directement responsable devant moi, pour essayer de faire avancer les choses.
Comment nous y prenons-nous? Non pas en versant davantage d'allocations, ce qui n'aurait pour effet que de renforcer l'exclusion. Mais au contraire en encourageant le travail et en misant sur l'éducation. Les contribuables, qui financent le système d'État-providence, attendent qu'il associe étroitement droits et responsabilités. C'est-à-dire qu'il offre des opportunités aux gens, à condition que ceux-ci les saisissent. Ainsi, le programme Welfare to work, doté de 3,5 milliards de livres, donnera aux chômeurs de longue durée, et notamment aux plus jeunes d'entre eux, la possibilité de retrouver un emploi. Je le répète : ce n'est pas en augmentant les allocations qu'on aidera les moins chanceux, d'autant que le reste de la population est las de financer un tel système. Les Britanniques veulent bien contribuer à donner une chance aux chômeurs, mais ils refusent de les payer à rester chez eux.

B. A. - Mais encore?
T. B. - Nous aiderons les parents isolés qui veulent travailler à retrouver un emploi. Nous attachons, en outre, une grande importance à la transformation du système éducatif dans nos villes. Certains de nos enfants scolarisés reçoivent une éducation lamentable. Nous assistons au développement d'une véritable culture de la drogue, du crime, du chômage, de l'instabilité familiale. Certains foyers n'ont d'ailleurs plus rien à voir avec de véritables familles. Pour en finir avec tout cela, il faudra non seulement adopter une série de mesures ciblées, mais également renouveler le contrat social, pour l'adapter au monde actuel.

B. A. - Vous êtes un partisan convaincu du concept d'« économie moderne ». Comment comptez-vous poursuivre la modernisation de l'économie britannique?
T. B. - Notre objectif est de faire sortir ce pays du cercle vicieux croissance/récession dont nous souffrons depuis trop longtemps. L'instabilité économique menace nos entreprises et nos emplois; elle rend plus difficile l'équilibre du budget des ménages et pèse sur le remboursement de leurs emprunts. Aussi prendrons-nous les décisions énergiques qui s'imposent pour assurer une stabilité de long terme. C'est la raison pour laquelle le contrôle des taux d'intérêt a d'ores et déjà été confié à la Banque d'Angleterre. Nous continuerons à lutter contre l'inflation et à maîtriser nos emprunts et nos dépenses. Il est impératif, à mes yeux, que les entreprises et les ménages britanniques puissent se projeter dans l'avenir avec confiance.

B. A. - Votre devise « justice sociale et compétitivité » implique une remise en cause de l'État-providence qui n'est pas sans rappeler l'action de Margaret Thatcher; or ceci contraste vivement avec la politique du gouvernement socialiste en France - lequel tente, lui, de réduire la durée du travail hebdomadaire. Quant à l'Allemagne, elle connaît des disparités croissantes de revenus qui seront au cœur de la prochaine campagne législative. Pensez-vous qu'il soit possible d'harmoniser des vues aussi différentes à l'intérieur de l'Union européenne?
T. B. - Le gouvernement de Lionel Jospin applique tout simplement le programme qu'il a proposé au peuple français. Du reste, il y a toutes sortes de manières d'atteindre les mêmes buts.
Pour nous, ce qui compte, c'est d'établir un bilan objectif des années 80. L'aspect positif, le grand acquis de cette décennie, ce fut l'apparition d'un marché du travail plus souple qui a encouragé le développement des affaires et l'esprit d'entreprise. Le revers de la médaille, c'est que ce fut aussi une époque de grande indifférence envers l'exclusion sociale, qu'on a laissé croître sans réagir. Durant la même période, on a échoué à réformer l'État-providence. Il ne faut pas oublier, non plus, que le système éducatif s'est considérablement dégradé. Face à un pareil défi, notre démarche est très simple : nous allons corriger ce qui ne marche pas, sans toucher au reste.

B. A. -N'est-il pas d'autant plus difficile pour Londres de renoncer à une part de sa souveraineté, en rejoignant l'Union monétaire, que de substantielles divergences d'approche séparent le Royaume-Uni de l'Europe continentale?
T. B. - Je ne vois aucun obstacle institutionnel insurmontable qui empêcherait notre pays de rejoindre l'Union monétaire. Mais le cycle économique de la Grande-Bretagne n'est pas le même que celui de la France ou de l'Allemagne. Ces deux derniers pays sont dans la partie basse de leur cycle (3), alors que nous sommes, nous, au sommet. Nos taux d'intérêt s'établissent actuellement à 7,25 %, contre 3 % environ sur le continent.
Si nous voulons coûte que coûte insérer notre économie dans l'Union monétaire sans tenir compte de la phase de développement des autres pays, nous courons à l'échec. Certes, l'Union monétaire est un projet qui comporte une dimension politique, mais il est impératif qu'il fonctionne économiquement. Les économies doivent être en harmonie. Il est de fait que certains pays européens traversent des phases qui leur permettent de s'intégrer dans l'Union dès le 1er janvier 1999. Tel n'est pas notre cas. Nous désirons participer à une monnaie unique qui fonctionne, et notre présence dans l'Union européenne sera pleinement constructive pour l'aider à prendre son essor, mais la Grande-Bretagne doit en retirer un bénéfice économique clair et dépourvu d'ambiguïté. Nous nous assurerons, avant de rejoindre la zone euro, que notre économie s'y prête. A défaut, notre adhésion serait contre-productive. Bref, il convient de procéder prudemment parce que notre économie, je le répète, se trouve dans une situation particulière et que nous sommes plus liés au cycle économique américain que
les autres pays d'Europe.

B. A. - Les déclarations relatives à l'Union monétaire faites par les autorités britanniques en novembre 1997 ont clarifié la position de Londres, mais ont également été interprétées comme un signe de non-engagement...
T. B. - Nous avons pris des décisions sur toutes les questions fondamentales que la Grande-Bretagne n'avait pas tranchées depuis Maastricht et sommes parvenus aux conclusions suivantes : sur le principe, nous souhaitons que notre pays participe à une monnaie unique qui fonctionne; il n'y a pas d'obstacle institutionnel à notre adhésion; le moment venu, c'est l'intérêt économique de la Grande-Bretagne qui dictera notre choix; nous nous préparons dès maintenant à l'hypothèse d'une adhésion à l'euro, qui interviendrait au début de la prochaine législature. Convenez que c'est une avancée considérable et que nous sommes bien loin des réticences britanniques de naguère!

B. A. - La Grande-Bretagne gagnerait-elle à rejoindre le Système monétaire européen avant d'entrer dans l'UEM?
T. B. - Ne commettons pas les mêmes erreurs que nos prédécesseurs. Je vous rappelle que c'était pour des raisons purement politiques que ceux-ci avaient décidé d'intégrer le SME. Résultat : l'économie n'a pas suivi, avec les conséquences que l'on connaît. Et nous avons dû quitter ce mécanisme de changes en 1992.

B. A. - Quels objectifs fixez-vous à la présidence britannique de l'Union européenne, qui s'achèvera le 1er juillet 1998?
T. B. - Nous saisirons cette occasion pour prendre la tête d'un vaste processus de réformes visant à mettre l'Europe au service des Européens, à la rendre plus proche des priorités du peuple.
Nous nous efforcerons de promouvoir ce que nous appelons la « troisième voie ». Au cœur de la réforme économique, il conviendrait de développer un modèle social fondé sur l'amélioration de l'« employabilité » de la main-d'œuvre européenne. Il faudra donc mettre l'accent sur l'éducation plutôt que sur la réglementation, encourager les talents et l'investissement technologique plutôt que d'alourdir les coûts et les charges pesant sur les entreprises, faire confiance à la concurrence et aux marchés plutôt qu'au protectionnisme. Empruntons le chemin qui s'ouvre à nous entre l'interventionnisme étatique à l'ancienne et le laisser-faire!
En deuxième lieu, nous travaillerons de manière constructive avec nos partenaires pour faire en sorte que le lancement de l'Union économique et monétaire soit un succès. Car c'est notre intérêt commun.
Troisième point : en engageant les négociations d'élargissement, nous consoliderons la paix, la démocratie et la sécurité dans une Europe plus vaste. Là encore, la présidence britannique veillera à ce que les négociations prennent un bon départ. C'est une mission historique à laquelle une Europe occidentale prospère ne peut tourner le dos. Nous allons également faire pression pour que s'engage la réforme de la Politique agricole commune, des Fonds structurels et des institutions européennes, indispensable au succès de l'élargissement.

B. A. - Existe-t-il, à l'échelle planétaire, des dossiers sur lesquels une concertation européenne plus poussée vous semblerait nécessaire?
T. B. - Effectivement. Nous lancerons une action commune dans les domaines de la lutte anti-criminelle et anti-drogue. Les narcotrafiquants et les blanchisseurs d'argent sale ignorent les frontières. Nous devons donc collaborer si nous voulons avoir le moindre espoir de régler ces problèmes. Faut-il préciser que, là encore, nous jugerons les différentes propositions à l'aune de leur seule efficacité?
Sur le front de l'environnement, enfin, l'Europe devra être en pointe, comme lors de la conférence de Kyoto. Nous userons de notre influence pour convaincre à la fois les États-Unis et le monde en développement de poursuivre dans cette voie. Et nous veillerons, tout au long de notre présidence, au suivi effectif des décisions prises.

B. A. – Œuvrez-vous à l'émergence d'une véritable politique extérieure commune?
T. B. - Il est, bien sûr, essentiel de démontrer que l'Europe peut fonctionner efficacement et exercer une influence positive dans ses relations avec le monde extérieur. L'Union a vocation à jouer un rôle majeur sur la scène mondiale, à promouvoir avec détermination le libre-échange, les droits de l'homme et les valeurs démocratiques. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour renforcer une politique étrangère et de sécurité commune capable de répondre aux menaces que l'Europe affronte.
A l'évidence, il y aura bien d'autres questions à l'ordre du jour. A commencer par l'interdiction d'exportation qui frappe le bœuf britannique. Nous espérons constater rapidement des progrès concrets sur ce dossier.
L'Europe ne fonctionnera au profit de ses peuples que si ces derniers sentent qu'elle constitue un véritable enjeu. La présidence britannique est l'occasion idéale pour prouver que notre pays fait désormais entendre sa voix au sein du concert européen et que l'indécision, les hésitations et les sentiments anti-européens du passé ont vécu.

B. A. - Le ministère allemand des Affaires étrangères a annoncé que la politique européenne de Bonn deviendrait plus « britannique » et que l'Allemagne ne souhaitait pas une intégration européenne à n'importe quel prix. Le chancelier Kohl, de son côté, a récemment déclaré qu'il était hostile à une fédération européenne. Vous en réjouissez-vous ?
T. B. - Je constate que ma position sur l'Europe correspond bien souvent à ce que pense l'opinion publique européenne. Ce n'est pas parce que nous critiquons la manière dont elle se construit que nous sommes opposés à l'Europe. Mais il est clair que cette dernière doit
évoluer : si nous voulons rester compétitifs, des changements structurels sont indispensables. La nouveauté, c'est que la Grande-Bretagne défendra désormais ce point de vue à l'intérieur d'une démarche pro-européenne plutôt qu'anti-européenne.

B. A. - Comment transposer votre conception d'un socialisme moderne dans d'autres pays européens? En d'autres termes, la Grande-Bretagne peut-elle incarner un modèle pour l'Europe continentale?
T. B. - Oui, je suis intimement persuadé que notre pays peut devenir un modèle combinant modernité économique et rénovation sociale. A l'heure actuelle, les institutions de l'Europe ne sont pas adaptées, son taux de chômage est bien trop élevé, nous ne créons pas suffisamment d'emplois ni ne stimulons efficacement l'entreprise. Nous devons, aussi, améliorer la coopération intergouvernementale. Mais je crois fermement en la réforme de l'Europe et je suis très favorable à un engagement résolu de la Grande-Bretagne dans l'UE. Un mot encore : il me semble que nous pouvons tous tomber d'accord sur l'importance de normes minimales en matière de protection sociale, à condition que ces dernières n'entraînent pas de rigidités néfastes pour nos économies.

B. A. - La Grande-Bretagne dispose-t-elle d'une alternative atlantiste à une pleine intégration dans l'Union européenne?
T. B. - Nous n'avons pas à choisir, pour préserver notre puissance, entre l'Europe et les États-Unis. Notre objectif est d'approfondir nos relations avec ce pays à tous les niveaux. Nous sommes un pont entre l'Amérique et l'Europe. Profitons-en! Lorsque la Grande-Bretagne et l'Amérique travaillent ensemble sur la scène internationale, il y a peu de choses qu'elles ne peuvent accomplir. Nous ne devons ni oublier le rôle historique que les Américains ont joué dans la défense de nos libertés politiques et économiques, ni le considérer comme un acquis. Aspect sentimental mis à part, les États-Unis constituent, de toute évidence, un facteur positif dans les affaires mondiales. On peut toujours compter sur eux dans les moments cruciaux. J'aimerais qu'on puisse toujours en dire autant du Royaume-Uni...

B. A. - Une dernière question, Monsieur le Premier ministre. Vos relations avec l'Administration Clinton semblent aussi chaleureuses qu'à l'époque du duo Reagan-Thatcher. Peut-on expliquer cette idylle par les succès des politiques libérales menées dans les deux pays? Londres conserve-t-il sa fonction traditionnelle de « poste avancé » des États-Unis en Europe?
T. B. - Je vous l'ai dit, nous devons utiliser notre situation d'intermédiaire entre l'Amérique et l'Europe continentale. Il va de soi que les bonnes relations que j'entretiens avec le président Clinton favorisent ce dessein. La nouvelle génération de décideurs est indifférente à l'idéologie; elle juge les gouvernements sur leurs résultats concrets, non sur leurs ambitions proclamées; elle tente de dépasser certains des vieux clivages droite/gauche. C'est ce que, lors de ma dernière visite aux États-Unis, j'ai appelé le « centre radical ». Les fondements de l'action politique sont inchangés (valeurs de progrès, de justice, d'unité nationale ... ) et il s'agit toujours de réconcilier l'ambition pour soi-même et la compassion envers les autres. Mais le contexte est différent, tout comme les priorités et l'agenda. En 1998, la Grande-Bretagne succédera aux États-Unis à la présidence du G8. Les deux pays partagent le même langage et la même approche sur nombre de dossiers. Nous avons donc élaboré un programme commun afin de nous attaquer aux problèmes que nous affrontons tous. Ensemble, nous allons identifier les réformes qui ont marché, celles qui ont échoué et les leçons que nous pouvons tirer à la fois de nos succès et de nos échecs.



(1) L'une des premières décisions du gouvernement Blair, en mai 1997, a été de rendre la Banque d'Angleterre indépendante. Cette mesure devrait notamment empêcher l'utilisation de l'économie à des fins électorales (cf. la stimulation de l'économie par une baisse des taux d'intérêt avant les élections). M. Blair veut ainsi atténuer les cycles booms/récessions du passé (boost and bust cycles), qui voyaient succéder à une croissance trop rapide des corrections brusques et violentes.
(2) Ce programme, lancé en janvier 1998, offre à chaque chômeur âgé de 18 à 25 ans un emploi, une formation ou un travail associatif, à charge pour le demandeur d'emploi de choisir l'une de ces options. Welfare to work est financé par un prélèvement sur les profits dégagés par les services publics privatisés.
(3) Les économies des États-Unis et de la Grande-Bretagne sont sorties de la récession en 1993/1994 et bénéficient, depuis lors, d'une croissance économique vigoureuse. La France et l'Allemagne, en revanche, commencent juste à retrouver une croissance plus rapide. On considère que les économies anglo-saxonnes ont atteint la fin de leur cycle et qu'elles vont désormais entrer dans une phase de ralentissement. M. Blair souhaite que les cycles - et les taux d'intérêt correspondants - de l'Europe continentale et du Royaume-Uni convergent avant que Londres n'entre dans l'Union monétaire.

par Brigitte Ades

 
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Brigitte Ades
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